À l'écoute dans l'espace public

By Christine Kerrigan

Le groupe La Fanfare des confinés a été parmi des musiciens choisis par l'arrondissement Plateau Mont-Royal pour jouer dans l'espace public (septembre 2020) PHOTO FX TREMBLAY

Le groupe La Fanfare des confinés a été parmi des musiciens choisis par l'arrondissement Plateau Mont-Royal pour jouer dans l'espace public (septembre 2020) PHOTO FX TREMBLAY

SON

Le paysage sonore joue un rôle important et complexe dans notre expérience de l'espace public. Traditionnellement, les villes considèrent le son comme une nuisance qui doit être contrôlée par des stratégies et des règlements de contrôle du bruit. Généralement, les tentatives de gestion des sons indésirables passent par l’installation de fenêtres spéciales, d’écrans et de murs antibruit, et des matériaux de haute technologie pour noyer ces bruits. Cette approche peut régler certains problèmes, mais elle ne prend pas en compte la complexité de l'environnement sonore et les opportunités d'utilisation du son comme ressource positive. Par exemple, la musique, les conversations, le chant des oiseaux et les sons d'eau peuvent contribuer positivement à la qualité de l'expérience urbaine lorsqu'ils sont utilisés de manière appropriée aux contextes et aux environnements.

Le son affecte notre bien-être, notre humeur, notre santé, notre plaisir (ou son absence), notre orientation, nos perceptions, notre concentration, et nos expériences. Il contribue également à nos souvenirs des espaces et des lieux, et nous n'entendons ni ne traitons tous les sons de la même manière (par exemple, pensez aux personnes atteintes de TDAH, avec une déficience auditive, âgées, etc.). N'oublions pas non plus que « nous le peuple » ne sommes pas les seuls êtres vivants dans la ville, et que les animaux et leurs habitats sont fortement impactés par le son. En fait, de nombreux animaux, tels que les baleines et les dauphins, sont très dépendants du son pour naviguer et communiquer. Ayant collaboré avec le laboratoire vivant la Ville sonore de l'Université McGill au cours des dernières années, je voulais partager certaines de mes propres réflexions et observations sur le son et nos environnements urbains en ce moment.

Des musiciens jouent sur l'Avenue Mont-Royal, Montréal (septembre 2020) PHOTO CHRISTINE KERRIGAN

Des musiciens jouent sur l'Avenue Mont-Royal, Montréal (septembre 2020) PHOTO CHRISTINE KERRIGAN

SON + DESIGN URBAIN

Montréal est souvent considérée comme une « ville créative et musicale ». En tant que Montréalaise, venue de Boston il y a 6 ans, je suis entièrement d'accord avec cette définition. Cependant, que se passe-t-il lorsqu'il y a une pandémie et que des milliers de musiciens, danseurs, acrobates et artistes ne peuvent plus se produire dans les festivals officiels et les lieux de spectacle? Eh bien, ces talents créatifs se retrouvent dans les rues, soit dans des spectacles pop-up organisés par la ville et les quartiers qui y travaillent dur, ou alors ils apparaissent comme par magie « guerrilla style » en public. La vidéo ci-dessous nous donne une idée de ce qui se passe lorsque les rues deviennent la scène.

Quoi qu'il en soit, il est plus clair que jamais que la musique et le son sont essentiels pour connecter des personnes de différentes cultures, âges, et origines. La musique et le son sont également notablement propres à remonter le moral des gens, en particulier lors de tragédies personnelles et de moments difficiles comme cette pandémie de COVID-19. Les images et vidéos touchantes de personnes chantant depuis les balcons et les toits au plus fort de la pandémie ne sont qu'un exemple parmi tant d'autres.

« Marche Marche Danse » par Daily Tous les Jours, Plateau Mont-Royal, Montréal (juillet 2020) PHOTO VICTORINE YOK-THOT SENTILHES

« Marche Marche Danse » par Daily Tous les Jours, Plateau Mont-Royal, Montréal (juillet 2020)
PHOTO VICTORINE YOK-THOT SENTILHES

L'équipe montréalaise de Daily Tous les Jours https://www.dailytouslesjours.com connait depuis longtemps le pouvoir de la musique et du son pour améliorer l'expérience des usagers de l'espace public. Depuis leur début en 2010, le studio d'art et de design, dirigé par Melissa Mongiat et Mouna Andraos, crée des projets et des installations de design urbain, qui capitalisent sur l’incroyable capacité du son à unir et connecter les gens, ainsi qu’à les aider à naviguer, découvrir, apprendre et jouer. Le studio est connu à l'échelle nationale et internationale pour son projet « Les balançoires musicales », une installation urbaine interactive qui invite les gens à se balancer et à faire de la musique ensemble. Cependant, ils ont plusieurs autres projets, qui sont tout aussi intrigants et attrayants, dans bon nombre desquels le son est un élément clé.

Durant l’été, Daily Tous les Jours a créé une pièce interactive intitulée « Marche Marche Danse », installée dans la nouvelle zone piétonne de l'avenue Mont-Royal à Montréal. Selon leurs propres mots, le projet est « une série de lignes musicales interactives, qui transforment la façon dont nous marchons (ou faisons la queue) en une fête de rue ». J'ai échangé avec Melissa pour lui demander son avis sur le potentiel du son et de la musique pour transformer les expériences et les espaces. « Nous utilisons souvent la musique dans notre travail, elle possède une qualité innée et universelle qui atteint les gens au-delà des mots. Elle fait bouger le corps et l'esprit. Quand c’est bien fait, les passants peuvent devenir des musiciens et des danseurs », a expliqué Melissa.

« Marche Marche Danse » par Daily Tous les Jours, Plateau Mont-Royal, Montréal (juillet 2020) PHOTO VICTORINE YOK-THOT SENTILHES

« Marche Marche Danse » par Daily Tous les Jours, Plateau Mont-Royal, Montréal (juillet 2020)
PHOTO VICTORINE YOK-THOT SENTILHES

Certaines organisations et villes comprennent également l'opportunité d'utiliser le son et la musique comme outils d'acupuncture urbaine, et le « Cabaret ambulant » en est un exemple parfait. C'est essentiellement un camion de crème glacée, mais rempli de musique au lieu de sucettes glacées qui rendent vos lèvres bleues. Cette scène musicale sur roues, gérée par le Quartier des Spectacles, a été utilisée pour ramener les citoyens et les visiteurs dans des quartiers spécifiques, en particulier ceux où les commerces locaux ont été très touchés pendant la pandémie par le manque de touristes et de visiteurs. J’ai croisé par hasard le camion en août, quand le groupe québécois Lost Fingers jouait leur propre interprétation de « I like to Move it Move it ». Non seulement cela m'a laissé un sourire jusqu'aux oreilles, mais j'ai également pu voir la stratégie derrière ce concert en mouvement : donner aux musiciens un lieu pour se produire, respecter la distance sociale, redonner vie aux quartiers ciblés et espérer que les gens (et leurs portefeuilles) reviendront dans ces quartiers et relanceront l'économie locale.

Damien Robitaille joue sur St Denis, Montréal (juillet 2020) PHOTO EVA BLUE

Damien Robitaille joue sur St Denis, Montréal (juillet 2020) PHOTO EVA BLUE

Clay and Friends joue à la place d'Youville, Montréal (août 2020) PHOTO EVA BLUE

Clay and Friends joue à la place d'Youville, Montréal (août 2020) PHOTO EVA BLUE

Random Recipe joue dans le Vieux-Port, Montréal (septembre 2020) PHOTO EVA BLUE

Random Recipe joue dans le Vieux-Port, Montréal (septembre 2020) PHOTO EVA BLUE

J'ai parlé avec Marie-Hélène Marchand, la chargée de projet responsable de la planification de la stratégie et du contenu de ce concert innovant sur roues. Elle m'a expliqué que le camion circulait entre 15h et 18h dans certaines rues piétonnes du centre-ville de Montréal. De plus, deux types de performances étaient présentées : toutes deux de de quinze minutes, mais pour l’une le camion restait à un endroit précis, tandis que pour l’autre, il se déplaçait lentement dans les rues. Les performances ont été organisées dans un style pop-up afin d'éviter d'attirer les foules, d'autant plus que certains groupes sont assez connus des locaux. La beauté de ce projet est que le dérangement potentiel des résidents locaux était minimisé par le déplacement régulier du camion, qui ne restait jamais au même endroit plus de 15 minutes. Le Quartier des spectacles n'a pas encore eu l'occasion de faire le bilan de l'impact économique du projet et de l'expérience utilisateur (c'est-à-dire l'expérience des spectateurs, musiciens, commerçants locaux, etc.). Cependant, c'est dans les plans pour les semaines et les mois à venir. D'après ce que j'ai vu et entendu jusqu'à présent, la réaction du grand public semble avoir été plutôt positive.

SON + CARTOGRAPHIE

Pendant le confinement dû à la COVID-19, beaucoup de nos centres-villes se sont transformés du jour au lendemain d'environnements sonores dominés par un assortiment de bips et de klaxons de camions, de vrombissements de bus et de voitures à un paysage sonore beaucoup plus calme - souvent rempli de chants d'oiseaux et de voix humaines, de pas, et de musique. Bien sûr, le paysage sonore de chaque quartier et de chaque ville est différent, mais la plupart ont vu, pendant le confinement, une nette réduction, voire la suppression totale, de la circulation des véhicules et donc du bruit qui y est associé.

London Street Noises project https://www.londonstreetnoises.co.uk

London Street Noises project https://www.londonstreetnoises.co.uk

De nombreux chercheurs du domaine ont étudié ces changements de paysage sonore pendant la pandémie. Une équipe de Londres dirigée par John Levack Drever, professeur d'écologie acoustique à Goldsmiths, Université de Londres, a créé le London Street Noises Project. L'équipe présente une comparaison d’enregistrements sonores à des lieux spécifiques de Londres en 1928, 2018 et 2020 (pendant la pandémie de COVID-19). C'était non seulement très divertissant d'écouter les commentaires de « Commander Daniel » à propos des enregistrements de 1928 (il m'a bien fait rire avec « Ce klaxon n'était pas du tout nécessaire. »), mais c'était incroyable d'écouter la différence entre les enregistrements de 2018 comparés à ceux de 2020. Écoutez-les et vous réaliserez peut-être à quel point le son de notre environnement peut nous affecter, et ce, bien plus qu’on ne le réalise.


J'ai parlé avec Mattia Cobianchi, un ingénieur acoustique, membre de l'équipe London Street Noise, et étudiant en doctorat de l'Université de Goldsmith à Londres. Selon Mattia, « Les environnements sonores en ville sont devenus plus silencieux pour la plupart d'entre nous pendant le confinement, mais c'est important de souligner que plus silencieux n'implique pas nécessairement ‘ mieux. ‘ C'est vrai qu'il existe des liens directs entre l'exposition à des niveaux de bruit élevés et des effets négatifs sur la santé, mais il existe également des preuves documentées d'une récupération plus rapide du stress et de meilleures conditions de santé autoévaluées liées à l'exposition à des paysages sonores positifs. Un paysage sonore positif n'est pas ‘ sans bruit ni sons, ‘ mais comporte plutôt de multiples sons (et d'autres facteurs comme les indices visuels et olfactifs) se combinent pour offrir une expérience positive. »

SON + TECH

La création de cartes sonores pour collecter des données auditives n'est pas non plus une nouveauté. Depuis des années, des capteurs ont été déployés dans de nombreuses villes afin de transformer les informations sonores en données utiles. En fait, depuis près de deux décennies, les membres de l'UE sont tenus de produire des cartes stratégiques du bruit dans les villes, ainsi que pour les routes, les chemins de fer et les aéroports principaux. De plus, les technologies sonores et les visualisations deviennent de plus en plus sophistiquées avec le temps. Par exemple, la start-up Securaxis https://securaxis.com à Genève, en Suisse, combine la détection acoustique et l'apprentissage automatique pour permettre la localisation, la classification, le reportage et l'analyse en temps réel de sons spécifiques dans n'importe quel environnement. Le système peut, entre autres, surveiller la circulation en comptant le nombre et le type de véhicules (par exemple, camion, voiture, moto, véhicule électrique), et également détecter les accidents et la direction du véhicule. J'ai été particulièrement intriguée quand j'ai appris que le système surveille également la faune en détectant des espèces spécifiques. C’est d’ailleurs une avenue de recherche dans le domaine académique pour la préservation et le suivi de la faune et de la biodiversité.

Les véhicules ne sont bien sûr pas les seules sources de bruits en milieu urbain et des villes comme Montréal étudient également comment mieux gérer le son généré par les évènements et les festivals. Par exemple, le Quartier des spectacles de Montréal, situé au cœur de nombreux festivals tout au long de l'année, a déployé plusieurs capteurs afin de mieux surveiller et suivre le son des évènements et des festivals. L'organisation travaille également en partenariat avec mes collègues du laboratoire vivant La Ville sonore de l'Université McGill et les professeurs et étudiants d'ÉTS afin de recueillir des données qualitatives et quantitatives auprès des résidents locaux et des visiteurs. Cette initiative est particulièrement opportune puisque de nouveaux immeubles de condos résidentiels sont en cours de construction dans le quartier. Ce déploiement de capteurs et de processus pour la collection de données auprès des résidents est de plus en plus courant dans plusieurs villes dans le monde. Bien entendu, le véritable défi consiste à trouver des moyens constructifs d'utiliser ces informations pour créer et construire des environnements plus sains dès à présent et à l'avenir.

SON + EXPÉRIENCE UTILISATEUR

L'étude de la perception du son en milieu urbain n'est certainement pas nouvelle. En fait, il existe un domaine d'étude qui s'appelle le paysage sonore* (également nommé l'écologie acoustique) qui utilise une approche proactive centrée sur l'utilisateur pour aborder le son en tant que ressource et non pas uniquement en tant que nuisance. L'approche du paysage sonore encourage les sons positifs dans les environnements urbains tout en atténuant les sons indésirables. Cette approche nécessite donc un travail multidisciplinaire pour planifier l'environnement sonore avant que les problèmes de bruit se produisent.

Le suivi des sources sonores et des niveaux de pression acoustique peut être extrêmement utile pour gérer le bruit et les perturbations, entre autres, mais ce n'est qu'une partie du récit. Il est également crucial de savoir comment les gens et les autres créatures vivantes perçoivent ces sons. Entendre Baguette, le chien de votre voisin, aboyer pendant 15 minutes d'affilée à 6 heures du matin peut vous inciter à maudire l'existence de ce chien. Cependant, si Baguette est votre chien, vous pouvez avoir une tolérance et une perception différentes des aboiements. Notre interprétation des sons est sujette à de nombreux facteurs, tels que l'environnement dans lequel nous sommes, les activités que nous faisons, notre relation avec la source du son et notre sensibilité au son, pour n'en nommer que quelques-uns. À travers les entretiens, les sondages et les promenades sonores, nous pouvons recueillir des données importantes sur la façon dont les gens interprètent leurs environnements sonores et les espaces publics qui les entourent.

Promenade sonore menée par Dr Daniel Steele, un chercheur en paysage sonore de l’Université McGill, dans le cadre d’un atelier que nous avons organisé à Montréal avec l’équipe de la Ville sonore de l’Université McGill.  PHOTO CYNTHIA TARLAO

Promenade sonore menée par Dr Daniel Steele, un chercheur en paysage sonore de l’Université McGill, dans le cadre d’un atelier que nous avons organisé à Montréal avec l’équipe de la Ville sonore de l’Université McGill.  PHOTO CYNTHIA TARLAO

LE FUTUR

Alors que nous attendons avec intérêt de voir comment se profile l'avenir de la mobilité et que de plus en plus de véhicules électriques parcourent les rues, il reste à voir à quoi ressemblera réellement le trafic dans les années à venir. En fait, concevoir l'expérience automobile du futur est quelque chose que les constructeurs automobiles explorent, recherchent et testent très activement en ce moment. Le confinement dû à la pandémie nous fournit des données intéressantes sur les modifications du paysage sonore d'une ville ou d'un quartier lorsque la circulation des bus, camions, motos et voitures est considérablement réduite ou même absente des environnements urbains. Nous avons également appris à apprécier la capacité de choses comme la musique et les sons de la nature pour améliorer nos environnements urbains et nous aider à traverser ces temps difficiles.

Personne ne sait quand un vaccin contre le COVID-19 sera inventé ou combien de temps durera cette pandémie. En attendant, nous pouvons en arriver à apprécier le rôle important que jouent le son et la musique dans le domaine urbain et profiter de l'occasion pour réfléchir à comment nous voulons que nos véhicules, quartiers et villes sonnent à l'avenir.

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* Définition officielle du paysage sonore:
Le paysage sonore a été défini par un groupe de travail de chercheurs et de professionnels de l'Organisation internationale de normalisation (ISO) comme « l'environnement acoustique tel que perçu et vécu par les personnes ou la société, en contexte ».

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